Avis de la CIJ du 19 juillet 2024 relatif à Israël
Israël est appelé à se conformer au droit international
par Pascal Lottaz,* Neutrality Studies, Kyoto, Japon
(23 août 2024) (CH-S) Pascal Lottaz, historien suisse et professeur de relations internationales, analyse les dimensions fondamentales de l’arrêt de la «Cour internationale de justice» (CIJ) du 19 juillet 2024 relatif à l’occupation des territoires palestiniens par Israël. Après une introduction écrite de l’auteur, nous reproduisons le contenu de son intervention vidéo en anglais.1
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La Cour internationale de justice (CIJ) a récemment publié un nouvel avis consultatif qui fera date sur l'occupation israélienne illicite de la Palestine, qui, à en juger par sa réaction furieuse, doit faire très mal à M. Netanyahu. Jetons donc un coup d'œil à ce document. Mais avant d'en parler, il faut savoir à quoi nous avons affaire.
Une simple opinion?
Il s’agit certes d’une décision très importante, sur laquelle les 15 juges de la Cour ont dû voter en bonne et due forme, mais il ne s’agit pas d’un jugement exécutoire sur un cas concret porté devant la CIJ par un membre de l’ONU, comme par exemple l’affaire «Afrique du Sud contre Israël». Dans ce cas, il n’y a pas de «verdict de culpabilité» ou de «peine». La Cour a rendu ce que l’on appelle un «avis consultatif» sur une question juridique qui lui a été demandée par l’Assemblée générale des Nations Unies.
Pourquoi l’Assemblée a-t-elle fait cela? Eh bien, les avis consultatifs de la CIJ sont les interprétations les plus contraignantes du droit international que l’on puisse obtenir. Cela signifie que les 15 juristes de la Cour et leurs équipes ont étudié une question juridique particulière pendant des mois et des années, puis ont rendu un avis consultatif au sens d’un «avis de super-experts» sur cette question.
Dans la pratique du droit international, ces avis deviennent alors des «sources de droit» pouvant à leur tour servir plusieurs objectifs:
- ils peuvent servir de base à des jugements futurs sur des questions concrètes, si les membres décident de se traîner mutuellement devant les tribunaux;
- elles peuvent informer les membres de l’ONU à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité de ce que dit réellement la loi, ce qui rend plus facile l’argumentation pour ou contre les résolutions qui pourraient être proposées. Et c’est ce à quoi nous pouvons nous attendre dans ce cas. L’Assemblée générale élaborera certainement à l’avenir des résolutions basées sur cet avis consultatif.
L’essence du droit international
Deuxièmement, on constate que, certes, Israël rejette vigoureusement l’avis consultatif et n’adaptera certainement pas sa manière de faire. Il s’agit toutefois d’un revers pour le projet sioniste.**
Car le droit international n’est pas comme le droit national. Il n’est pas invocable comme le droit national. Il ne se forme pas non plus de la même manière que le droit national. Le droit interne est (en général) élaboré par des organes législatifs, qui s’appellent (en général) des parlements. Il s’agit de règles plus ou moins concrètes qui sont ensuite utilisées par l’appareil étatique pour structurer la vie sociale dans un pays.
Le droit international ne fonctionne pas de cette manière, car il n’existe pas de Parlement mondial qui ait le même pouvoir pour tous. L’Assemblée générale des Nations Unies ressemble peut-être un peu à un parlement, mais en réalité, elle ne correspond pas à ce genre d’institution:
Le droit international représente avant tout la «volonté collective générale» de la communauté internationale, qui s’exprime dans les traités, les déclarations, le droit coutumier et les avis d’experts.
Cet avis consultatif signifie donc que «le monde» ne reconnaît pas, une fois de plus, les revendications d’Israël sur la terre palestinienne. Bien sûr, Israël est maintenant en colère et M. Netanyahu a dit textuellement: «Le peuple d’Israël n’est pas un occupant sur sa propre terre et dans sa capitale éternelle, Jérusalem.» C’est en fait une déclaration plutôt utile, car c’est précisément le cœur du problème. L’avis consultatif signifie que le monde ne reconnaît précisément pas cette affirmation, à savoir qu’Israël, du fait que des Juifs ont vécu sur cette terre il y a 2000 ans, en déduit une sorte de droits historiques magiques sur cette terre. Ce n’est pas un concept de droit international. Et Israël est furieux de ne pas pouvoir, dans ce cas, imposer sa volonté.
Un problème pour le sionisme
C’est un très gros problème pour le sionisme, car toute la stratégie politique d’Israël consiste simplement à établir des faits. Depuis sa création en 1948, l’idée d’Israël est d’ignorer le droit international, de faire des choses qui sont clairement considérées comme crimes selon ce droit, s’emparer du pays, remplacer les gens qui y vivent et, avec le temps, faire en sorte que cela devienne un fait de la vie internationale.
Il ne s’agit même pas d’une nouvelle stratégie, car c’est exactement de cette manière que tous les Etats colonisateurs qui ont réussi ont été créés. De nouvelles personnes venues d’Europe ont exterminé la population indigène, ont créé leurs propres Etats et ceux-ci sont devenus membres de la communauté internationale parce que tous les autres Etats les ont reconnus. Et finalement, la reconnaissance par d’autres Etats est au cœur du fonctionnement du droit international.
Le droit international est la volonté du monde. Par conséquent, si le monde perd la volonté de s’opposer à Israël et reconnaît effectivement ses revendications, alors ces revendications deviennent «légales» dans le sens d’une reconnaissance par la communauté internationale. Les actes antérieurs resteront toujours illicites en vertu du droit international antérieur. Mais si elles sont reconnues dans le futur, cela met fin à leur illicéité.
Et puisque telle est la stratégie, Israël «gagne» chaque fois que des Etats s’orientent vers la reconnaissance de ses revendications – comme dans le cas de la décision de Donald Trump de reconnaître les hauteurs du Golan, appartenant juridiquement à la Syrie, comme faisant partie d’Israël – et Israël «perd» chaque fois que quelqu’un fait le contraire.
Cet avis consultatif ici est exactement l’inverse. Il ancre une fois de plus dans les livres du droit international en vigueur que ce qu’Israël fait est en effet toujours illicite et le restera dans un avenir prévisible. La grande majorité du monde ne partage pas l’interprétation des droits d’Israël.
Le «poids» de l’avis consultatif joue également un rôle ici, puisqu’il a été rendu par 15 juges et que toutes les questions sur lesquelles le tribunal a statué ont été votées individuellement et reconnues par au moins 11 des juges, voire plus pour certaines questions. Cela signifie bien sûr que la plupart des questions ne relèvent pas d’une situation juridique incertaine ou de différentes nuances. C’est une prise de position très clair.
Examinons maintenant ce que la Cour a inscrit dans le Droit international en vigueur.
[Ci-dessous, «Point de vue Suisse» reproduit l’analyse de l’avis de la CIJ présentée oralement par Pascal Lottaz dans son intervention vidéo. (réd.)]
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Le document original2 a été adopté le 19 juillet 2024 en anglais et en français et s’intitule: «Conséquences juridiques de la politique et des pratiques d’Israël dans les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est». Il compte 80 pages et contient 285 paragraphes. Le tribunal a été chargé d’examiner quelles sont les conséquences juridiques selon le droit international.
Dans l’article V, paragraphes 103–243, la CIJ examine la politique d’Israël. Elle dresse un procès-verbal officiel des illégalités et explique pourquoi elles sont illicites, ce qui est fondamental pour toute personne souhaitant comprendre le conflit israélo-palestinien, pour sa compréhension juridique. Ici, le tribunal détermine avec autorité comment ces questions doivent être considérées – par exemple la violence contre les Palestiniens, l’extension du droit israélien ou le transfert de la population civile (8 points au total).
L’article VII énonce les conséquences juridiques découlant de la politique et des pratiques d’Israël et de l’illégalité de la présence continue d’Israël dans les territoires palestiniens occupés. Il est important de noter que la CIJ a d’abord examiné les conséquences pour Israël lui-même:
A. Conséquences juridiques pour Israël
B. Conséquences juridiques pour les autres Etats (Elles sont d’une grande importance.)
C. Conséquences juridiques pour les Nations Unies
Le tribunal a donc procédé à une analyse globale de ce que cette situation implique non seulement pour Israël et la Palestine, mais également pour tous les autres Etats membres de l’ONU, et cela portera préjudice à Israël à long terme.
Le fait est que la juge américaine et les juges des pays occidentaux ont également voté Oui, ce qui donne à cet avis consultatif un grand poids juridique.
Commençons par les avis proprement dits: toutes les décisions sont résumées sur deux pages au paragraphe 285 (p. 78/79):
«Par ces motifs, la Cour,
(1) à l’unanimité, dit qu’elle a compétence pour donner l’avis consultatif demandé;
(2) par 14 voix contre 1, décide de donner suite à la demande d’avis consultatif;
(3) par 11 voix contre 4, est d’avis que la présence continue de l’Etat d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite;
(4) par 11 voix contre 4, est d’avis que l’Etat d’Israël est dans l’obligation de mettre fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais;
(5) par 14 voix contre 1, est d’avis que l’Etat d’Israël est dans l’obligation de cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation, et d’évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé;
(6) par 14 voix contre 1, est d’avis que l’Etat d’Israël a l’obligation de réparer le préjudice causé à toutes les personnes physiques ou morales concernées dans le Territoire palestinien occupé;
(7) par 12 voix contre 3, est d’avis que tous les Etats sont dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’Etat d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence continue de l’Etat d’Israël dans le Territoire palestinien occupé;
(8) par douze voix contre trois, est d’avis que les organisations internationales, y compris l’Organisation des Nations Unies, sont dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’Etat d’Israël dans le Territoire palestinien occupé;
(9) par douze voix contre trois, est d’avis que l’Organisation des Nations Unies, et en particulier l’Assemblée générale, qui a sollicité le présent avis, et le Conseil de sécurité, doit examiner quelles modalités précises et mesures supplémentaires sont requises pour mettre fin dans les plus brefs délais à la présence illicite de l’Etat d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.»
Le point 6 est un point de poids. Il concerne les réparations.
Cet avis consultatif donne aux Palestiniens le droit de poursuivre Israël en justice pour obtenir des compensations pour tout ce qu’ils ont perdu. Cela peut avoir beaucoup d’implications pour les affaires futures, même les affaires juridiques internationales ou nationales. Car, si les Palestiniens peuvent prouver qu’ils ne peuvent obtenir justice ni des tribunaux israéliens ni des tribunaux internationaux, il est théoriquement possible que certains Etats reconnaissent le droit des Palestiniens à poursuivre Israël en vertu du droit local, sous une soi-disant «juridiction universelle» (selon le fonctionnement du droit national).
Certaines lois nationales prévoient qu’ils peuvent statuer sur des revendications en dehors de leur juridiction s’il existe de bonnes raisons. Et cela pourrait effectivement en être une à l’avenir.
Le point 7 est très important! Cela crée une obligation légale officielle non seulement pour Israël, mais également pour tous les autres Etats. Tous les autres Etats de la communauté mondiale savent désormais qu’ils sont tenus de ne pas soutenir Israël dans son occupation.
C’est une prise de position très clair, et à ma connaissance, cela n’avait jamais été fait auparavant.
Concernant le point 9, c’est l’aveu que l’Organisation des Nations Unies elle-même devrait être obligée d’y travailler et de renvoyer la balle à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité afin de continuer à y travailler au niveau politique, car la Cour est bien sûr un organe juridique et non politique. Maintenant, la balle devrait retourner aux politiques.
Mise en œuvre de l’arrêt
Bien sûr, cela sera en grande partie ignoré; et au Conseil de sécurité, les Etats-Unis opposeront leur veto. Mais à l’Assemblée générale, il y a de bonnes chances que de nouvelles résolutions soient adoptées et que les Etats adoptent, sur la base de cet avis consultatif, des résolutions qui pourraient aller jusqu’à recommander des sanctions et d’autres mesures contre Israël, basées sur ce document.
Règles pour les pays tiers
Ces conséquences juridiques pour les autres Etats sont importantes, comme mentionné ci-dessus. Il est essentiel que les obligations de ce que l’on appelle erga omnes [«droit absolu»], soient mises en œuvre de sorte que le conflit ne concerne pas seulement les deux parties, mais également des Etats tiers. La Cour a maintenant formulé des règles pour les Etats tiers.
Respect de la Charte de l’ONU et de la Quatrième Convention de Genève par tous les Etats parties
Parmi les obligations erga omnes qu’Israël a violées, il y a l’obligation de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. L’avis dit très clairement que les autres Etats sont tenus d’aider les Palestiniens à réaliser leur droit à l’autodétermination. Il s’agit d’un paragraphe assez long, que vous pouvez lire à la page 75.
Le paragraphe 279, que je cite ici dans son intégralité, est également important:
«De plus, la Cour considère que, compte tenu de la nature et de l’importance des droits et obligations en cause, tous les Etats sont tenus de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. Ils sont également tenus de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette présence.
Tous les Etats doivent veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin à toute entrave à l’exercice du droit du peuple palestinien à l’autodétermination résultant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. En outre, tous les Etats parties à la quatrième convention de Genève ont l’obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de s’assurer qu’Israël respecte le droit international humanitaire tel que consacré par cette convention.»
L’avis consultatif a été demandée avant le 7 octobre 2023
Ici. je dois préciser que cet avis a été demandé par l’Assemblée générale avant le 7 octobre 2023. Il a été demandé en 2021.
Le tribunal dit au début du texte: il ne s’agit que de choses qui se sont passées avant le 7 octobre. Tout ce qui s’est passé depuis n’est pas pris en compte dans cette expertise, et le génocide à Gaza n’est même pas mentionné dans cette expertise.
Ce que fait donc la Cour: elle considère les effets juridiques de l’occupation et elle réaffirme qu’il s’agit d’une occupation; qu’Israël agit de manière illicite et en violation du droit international et qu’il doit se retirer aux frontières de 1967. Elle réaffirme également que l’imposition de son pouvoir par Israël aux Palestiniens n’est pas correcte.
Cette imposition du pouvoir n’est donc pas conforme au droit international. Il s’agit d’une violation du droit international. Je la souligne ici parce que la Quatrième Convention de Genève traite des règles en cas de conflit armé et dit clairement que le droit international humanitaire doit absolument être appliqué à l’égard des civils.
Cela a un lien direct avec ce qui s’est passé après le 7 octobre et avec toutes les violations qui sont commises contre le droit international humanitaire. La Cour dit à nouveau: non, on ne peut pas violer le droit international humanitaire parce qu’on a une bonne raison (le 7 octobre), et l’affirmation d’Israël selon laquelle les Palestiniens n’ont pas le droit à l’autodétermination ne donne pas à Israël le droit de se défendre, comme Israël le prétend constamment pour justifier toutes les violations de la Convention de Genève et, entre-temps, de la Convention sur le génocide.
Les pays tiers ne doivent pas aider Israël
La raison pour laquelle ceci est si important est le fait que nous avons maintenant un avis consultatif très sévère de la CIJ selon lequel les pays tiers ne doivent pas aider Israël. Ils ne doivent rien faire qui puisse aider Israël à prolonger l’occupation. Cela peut être utilisé par des groupes d’activistes et des pays tiers courageux pour tenter d’en poursuivre d’autres ou de poursuivre des organes étatiques qui pourraient enfreindre ce règlement.
L’avis est un instrument utile pour les actions en justice de pays tiers
En effet, il n’est pas seulement directement lié au droit international humanitaire, mais également aux normes internationales en matière de droits de l’homme. Ce sera donc un instrument très utile pour les parties courageuses qui veulent essayer d’emprunter la voie juridique via une institution qu’elles peuvent trouver, soit dans leur propre pays, soit dans le domaine international, comme l’un des organes liés aux Nations Unies ou à la Cour pénale internationale.
C’est tout simplement très fort! Ce n’est donc pas seulement Israël qui est sous surveillance. Ce sont également les Etats tiers qui le soutiennent, également les Etats-Unis, également l’Union européenne, tous ces Etats sont désormais informés qu’ils ne doivent rien faire qui aide Israël à prolonger l’occupation.
La CIJ reconnaît les frontières de 1967 et la solution des deux Etats
La Cour reconnaît les frontières de 1967. L’illustration (changements territoriaux en Palestine) montre ce que la Cour reconnaît comme étant les frontières effectives de l’Etat de Palestine ou comme étant des terres palestiniennes légitimes appartenant aux Palestiniens.
La Cour ne délégitime en aucun cas Israël. Elle reconnaît l’Etat d’Israël, elle reconnaît le droit de l’Etat d’Israël à exister. Au final, elle dit qu’Israël et la Palestine doivent vivre côte à côte.
La Cour reconnaît cette solution à deux Etats conformément au droit international. La Cour ne justifie donc en aucun cas la dissolution d’Israël, telle qu’elle est réclamée par quelques Etats arabes. Mais la Cour reconnaît que tout ce qui concerne les soldats ou les colonies illégales d’Israël dans ces territoires en Palestine est contraire au droit international. Nous devons garder cela à l’esprit.
Aucun changement à attendre au niveau politique
Au niveau politique, nous ne pouvons pas nous attendre à des changements. Les Etats-Unis ont bien sûr immédiatement exprimé leur soutien à Israël, et le Département d’Etat a déclaré qu’il considérait cet avis consultatif comme incompatible avec le cadre établi pour la résolution du conflit et que Washington dissuadait fortement les parties d’utiliser l’avis de la Cour comme prétexte à de nouvelles actions unilatérales.
Un autre expert en droit international m’a fait remarquer qu’il était très hypocrite de la part des Etats-Unis de parler de mesures unilatérales. Ce qu’ils veulent dire, ce sont bien sûr de nouvelles reconnaissances de la Palestine en tant qu’Etat par d’autres pays. Comme vous le savez, certains pays européens s’abstiennent et l’ont déjà fait. Les Etats-Unis appellent cela des «mesures unilatérales». Vous savez que la reconnaissance de la Palestine – tout type de reconnaissance d’un Etat par un Etat tiers – est toujours un acte unilatéral, c’est ainsi par définition.
Si un pays ou un gouvernement décide de reconnaître un autre Etat, c’est un acte unilatéral. Ce que le département d’Etat américain dit ici, c’est que quiconque veut reconnaître la Palestine doit d’abord demander à Israël s’il est d’accord ou non.
Israël ne peut pas franchir le mur
coupe-feu de l’opinion juridique internationale
Je pense que le plus important est de garder à l’esprit que ce n’est désormais plus seulement l’opinion d’un tribunal – mais plus ou moins celle de l’opinion mondiale et du droit international – que la stratégie à long terme d’Israël, qui consiste à créer des faits et à les faire reconnaître par la suite, ne fonctionne plus.
Cela ne met pas fin à l’occupation illégale, et cela ne changera pas immédiatement la politique d’Israël, mais cela signifie que la digue du droit international résiste toujours et encore, et qu’Israël n’est pas en mesure de briser ce mur coupe-feu de l’opinion juridique internationale.
Et si cela continue, même si cela dure encore des décennies ou un siècle, les réalités politiques sur le terrain finiront par changer. Actuellement, c’est bien sûr le soutien militaire des Etats-Unis et de l’Union européenne qui maintient Israël en sécurité et sur place. Mais si cela change, tout le jeu politique prendra une autre direction.
A ce moment-là, si ce soutien militaire s’affaiblit, Israël aura besoin du soutien de la communauté internationale pour continuer à exister, et ce sera alors le moment où Israël pourrait être prêt à mettre réellement fin à cette tragédie absolue et à accepter la solution des deux Etats et à résoudre réellement l’apartheid au sein de l’Etat et toutes les injustices qui ont été commises.
Là non plus, le droit international ne peut pas changer la situation immédiatement, mais il indique la bonne direction à long terme. La bonne nouvelle, c’est que la direction à long terme n’est pas celle que les sionistes désirent, à savoir se diriger vers le silence et accepter les faits qu’Israël crée. Ce n’est pas le cas. C’est la bonne nouvelle de ce jour, et nous verrons si cet avis aura des conséquences juridiques sérieuses dans les mois et les années à venir. Je vous remercie.»
* Pascal Lottaz est un universitaire suisse vivant au Japon. Il travaille à l’Université de Kyoto en tant que professeur associé à la Graduate School of Law et au Hakubi Center sur les questions de neutralité dans les relations internationales. Il gère également une page YouTube intitulée «Neutrality Studies». Pour de plus amples informations: https://substack.com/@pascallottaz. ** (Ajout réd. CH-S) Le terme «sionisme» fait référence à l’idée traditionnelle du «retour à Sion», Sion désignant d’abord une colline de Jérusalem, le mont Sion, et par métonymie, Jérusalem et la terre d’Israël. Le mouvement sioniste forme à la fois une idéologie et un mouvement nationaliste. (cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Sionisme) |
(Traduction «Point de vue Suisse»)
1 https://www.youtube.com/watch?v=eJlnZj5j6nI, 3 août 2024
2 Avis consultatif du 19 juillet 2024: «Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est». https://www.icj-cij.org/index.php/fr/affaire/186