Le gouvernement fédéral allemand pris dans le filet des numérisateurs de la santé
Quels intérêts sont servis dans la politique de santé?
par Norbert Häring,* Allemagne
(6 décembre 2024) (CH-S) Jusqu’où s’étend l’influence des groupes pharmaceutiques et informatiques dans les décisions politiques en matière de santé? Norbert Häring retrace des situations clandestines en Allemagne. La santé des citoyennes et des citoyens est-elle subordonnée aux affaires d’une industrie internationale de la santé? Peut-on en tirer des conclusions pour la Suisse? Le conflit entre deux groupes informatiques au sujet de l’équipement des hôpitaux suisses en logiciels informatiques pour un montant de plus d’une centaine de millions de francs fait dresser l’oreille. Nos cotisations d’assurance maladie et nos millions d’impôts sont-ils dépensés à bon escient et qui en profite? Un coup d’œil sur l’Allemagne vaut la peine.
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Le 22 septembre, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté, outre le Pacte pour l’avenir, un «Pacte numérique global», un pacte visant à favoriser le pouvoir et les profits des grands groupes numériques, en obligeant tous les citoyens du monde à se connecter et à utiliser les infrastructures qu’ils contrôlent. Si l'on suit un fil dans la non-réponse du gouvernement fédéral allemand à la question de savoir qui sont les principaux instigateurs du pacte, on arrive à un réseau serré de faiseurs d'agendas pour la numérisation forcée du système de santé, dans lequel le gouvernement précédent et l'actuel se sont laissé prendre.
Le texte du «Global Digital Compact» est formulé dans l’intérêt des grands groupes numériques, comme ils auraient difficilement pu mieux le faire eux-mêmes.
Il ressort du «Rapport du gouvernement fédéral sur la coopération avec les Nations Unies» des années 2022 et 2023 qu’il a «soutenu le processus d’élaboration d’un Pacte numérique global en le finançant et en l’encadrant» et que l’implication des «acteurs de la science, de la société civile et de l’économie» a joué un «rôle prépondérant» du point de vue du gouvernement fédéral.1 C’est pourquoi le député allemand et porte-parole de l’AfD pour la politique numérique, Eugen Schmidt, a demandé au ministère des Affaires étrangères compétent quels acteurs de la science, de la société civile et de l’économie avaient été impliqués et quels critères avaient été appliqués pour sélectionner ces acteurs. Il a demandé de nommer les plus importants de ces acteurs du point de vue du gouvernement fédéral.2
La secrétaire d’Etat qui a répondu, Susanne Baumann, fait simplement comme si les questions très concrètes n’avaient pas été posées et se répand en généralités:
«Le gouvernement fédéral allemand a organisé, en collaboration avec les gouvernements du Kenya, de l’Inde et du Mexique et en coopération avec l’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la technologie, Amandeep Singh Gill, trois consultations régionales multipartites avec les entreprises, les universités et la société civile en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Les consultations régionales ont été mises en œuvre par la GIZ en tant que partenaire de projet. Les participants ont été sélectionnés en fonction de leur pertinence thématique et de leur fonction potentielle de multiplicateurs. Les résultats ont été documentés dans trois rapports régionaux qui ont été transmis au bureau de l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations Unies pour la technologie et peuvent être consultés sur le site web de son bureau.»
La secrétaire d’Etat Baumann, qui ne respecte pas ici son devoir d’information envers le Parlement, s’est récemment fait connaître de manière peu glorieuse pour son rôle présumé déterminant dans l’imposition d’une ligne de conduite trop souple en matière d’octroi de visas aux Afghans.3 La réponse contient des liens vers les rapports des trois consultations régionales en Afrique,4 Amérique5 et Asie.6 Cependant, ces rapports ne contiennent pas non plus de listes des organisations impliquées. La GIZ est l’agence publique allemande de développement.
Si le gouvernement fédéral refuse d’indiquer aux représentants du peuple les participants à un processus qu’il a contribué à mettre en place, à savoir un pacte mondial dont le contenu alimente le soupçon qu’il est le fruit des efforts des lobbies de grandes entreprises, on peut presque considérer que ce soupçon est confirmé. Mais suivons tout de même un fil que nous trouvons dans la non-réponse du ministère des Affaires étrangères:
Amandeep Singh Gill, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour les technologies, était, avant de prendre ses fonctions auprès d’António Guterres en 2023, le directeur fondateur de l’International Digital Health and AI Research Collaborative (I-DAIR) à Genève, au siège de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Depuis, I-DAIR a été rebaptisée «Health AI» et est devenue une fondation indépendante.7 La création de Gill, qui promeut la numérisation de la santé et l’utilisation de l’intelligence artificielle, a été financée par l’OMS, la très riche fondation pharmaceutique «Wellcome Trust» et la «Fondation suisse pour la promotion de la numérisation Botnar».8 Auparavant, Gill avait été un diplomate indien de haut rang dans le domaine du contrôle des armements,9 un ancien domaine de travail qu’il partage avec Susanne Baumann.
A propos de la création de l’organisation dirigée par Gill , il a été dit:10
«I-DAIR s’inspire des recommandations du Groupe de haut niveau sur la collaboration numérique du Secrétaire général des Nations Unies (HLPDC), qui, sous la coprésidence de Melinda Gates et Jack Ma, a élaboré de nouveaux modèles de collaboration pour l’utilisation des données et de la technologie numérique au service du bien commun et de la réalisation des objectifs de développement durable (ODD).»
Melinda Gates était à l’époque encore l’épouse du fondateur de Microsoft , Bill Gates, et est coprésidente de la «Bill and Melinda Gates Foundation», riche en argent et en influence. Jack Ma est l’ancien chef du grand groupe Internet chinois Alibaba.
I-DAIR/Health AI entretient une étroite coopération avec la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM), qui est généreusement soutenue par le «Wellcome Trust» et la «Bill and Melinda Gates Foundation». Son directeur, Peter Piot, a été le conseiller Covid de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, qui a des ennuis avec le Parlement et le ministère public parce qu’elle a négocié par SMS avec le groupe pharmaceutique américain Pfizer des contrats portant sur des quantités absurdement surévaluées de vaccins Covid à des prix élevés et à des conditions extrêmement avantageuses pour le groupe, et qu’elle refuse de remettre ces SMS. L’épouse de Piot, Heidi Larson, dirige le département d’épidémiologie du LSHTM.11
Jeremy Farrar, directeur du «Wellcome Trust» – qui parraine I-DAIR/Health AI fondé par Gill et la LSHTM – a été nommé en décembre 2022 scientifique en chef de l’OMS, une organisation onusienne, qui co-sponsorise I-DAIR.
Heidi Larson dirige également le Global Listening Project, «généreusement financé par la MacArthur Foundation, la Bill & Melinda Gates Foundation et les groupes pharmaceutiques GlaxoSmithKline et Moderna».12 Selon les destinataires, il s’agit soit de trouver comment restaurer la confiance dans les gouvernements, la technologie et la science, soit de déterminer «de quelle manière les Etats-Unis peuvent le mieux mener les efforts de sécurité sanitaire à l’étranger».
C’est un rapport du Forum économique mondial sur la cohésion sociale fortement compromise qui a donné l’impulsion au projet.
En 2010, Larson a fondé le Vaccine Confidence Project, financé entre autres par des groupes pharmaceutiques, le Forum économique mondial, la fondation Gates, Meta, Youtube et le cabinet de conseil en communication Edelman Trust Institute, afin de promouvoir la vaccination. Elle entretient des contacts étroits avec le Center for Strategic and International Studies (CSIS) à Washington, qui a reçu le titre de «Meilleur think tank pour la défense et la sécurité nationale» et pour lequel elle a travaillé auparavant.
Johanna Hanefeld, ancienne adjointe de Piot à la direction de la LSHTM et très liée à la «Fondation Bill et Melinda Gates»,13 dirige désormais le Centre RKI pour la protection de la santé internationale. Elle est liée au «Global Listening Project» de Larson en tant que membre du conseil consultatif international, avec Charbel El Bcheraoui, qui est placé à un niveau de direction inférieur au sien, au centre RKI. Le «Robert-Koch-Institut» (RKI) est une autorité relevant du Ministère fédéral de la Santé.
Sous l’égide de Gill, I-DAIR a également conclu un accord de coopération avec le «Global Health Hub Germany», créé en 2019.14 Ce point d’appui pour la santé mondiale, financé par le Ministère fédéral de la Santé, doit «réunir les différents acteurs et secteurs de la santé mondiale, dans un réseau indépendant».15 Le Hub opère probablement de manière aussi «indépendante» du ministère que le RKI, dont le ministre de la Santé Lauterbach a également affirmé cela de manière contraire à la vérité.
Conformément au grand intérêt de nombreux secteurs à gagner de l’argent dans le domaine de la santé numérisée, on trouve parmi les 2000 membres, outre la branche de la santé, également des représentants de la branche financière, de la branche informatique et bien d’autres. Des représentants d’entreprises et d’autorités des domaines de la biosécurité (guerre biologique) et de la défense y participent également.
Le «Global Health Hub Germany» utilise sans vergogne le langage du Forum économique mondial, qui parle de la «quatrième révolution industrielle» qui nous a déjà envahis et que l’on veut rendre plus humaine en coopération avec I-DAIR.16 Le Forum économique mondial, qui représente les intérêts des groupes mondiaux les plus riches et les plus puissants, parmi lesquels figurent en premier lieu les groupes informatiques américains, est un promoteur particulièrement actif de la santé numérique et de l’utilisation de l’intelligence artificielle. Il compte la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock parmi ses Young Global Leaders, tout comme le dernier ministre de la Santé Jens Spahn. Angela Merkel, qui était encore chancelière en 2021 lorsque la coopération a été signée, a également reçu cette distinction douteuse dans ses jeunes années de ministre. A l’époque, le titre et le programme de formation mondialiste aux fonctions de direction qui l’accompagne s’appelaient Global Leaders of Tomorrow.
Résumé
L’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour la technologie, auquel le gouvernement fédéral a prêté main forte dans le cadre du Pacte numérique mondial, est issu d’un réseau public-privé de promotion de la numérisation du secteur de la santé, dans lequel le gouvernement fédéral est impliqué. Son organisation de promotion de la numérisation de la santé, I-DAIR/Health AI, est financée par l’OMS et la fondation pharmaceutique «Wellcome Trust» et veut aider à mettre en œuvre ce que la femme du fondateur de Microsoft et le plus puissant entrepreneur informatique chinois ont proposé à l’ONU en matière de numérisation et de libre circulation internationale des données. «Health AI» coopère avec un institut universitaire londonien, LSHTM, qui est largement financé par le «Wellcome Trust» et la fondation du fondateur de Microsoft Bill Gates, et dont les dirigeants entretiennent des relations étroites avec le Forum économique mondial, qui promeut massivement la numérisation du système de santé dans l’intérêt des groupes pharmaceutiques et informatiques qu’il représente. Le gouvernement fédéral a des accords de coopération ou entretient des relations étroites également avec I-DAiR/Health AI, LSHTM et le Forum économique mondial.
Conclusion
Si l’on retrace cet enchevêtrement, qui est certainement encore beaucoup plus dense et plus grand que ce qui est présenté ici, on ne s’étonne plus que le gouvernement fédéral allemand fasse avancer la numérisation du système de santé avec un tel acharnement – contre la volonté des médecins, des pharmaciens et des patients – et qu’il serve de larbin pour promouvoir les intérêts des secteurs pharmaceutique et informatique par le biais d’un Pacte numérique global. L’appartenance à un parti n’a aucune importance. La numérisation forcée de la santé a été menée par un ministre de la Santé CDU et Young Global Leader Jens Spahn de la CDU, tout comme par un ministre Karl Lauterbach du SPD.
Comme les groupes et les fondations qui tirent les ficelles dans cet entrelacs viennent principalement des Etats-Unis et agissent en harmonie d’intérêts avec le gouvernement américain, il ne faut pas non plus s’étonner qu’une ministre des Affaires étrangères à l’orientation transatlantique stricte, qui est par ailleurs Young Global Leader du Forum économique mondial, participe assidûment à la poursuite de cet agenda de numérisation forcée.
D’une manière générale, on peut partir du principe que l’influence de Washington sur la politique et le paysage médiatique allemands est suffisamment importante pour que les politiciens ayant des ambitions de carrière puissent difficilement se permettre de refuser des demandes de soutien formulées avec insistance par Washington. Et pour les gouvernements américains, il y a peu de choses plus importantes que de rivaliser avec la Chine et ses groupes numériques dans la course à la domination de l’avenir numérique. Pour cela, les grands groupes américains ont besoin le plus rapidement possible du plus grand nombre possible de champs d’action et de données dans et avec lesquels ils peuvent travailler, développer leurs logiciels et établir une position dominante. Etant donné que les Etats-Unis comptent moins d’un quart de la population chinoise et que les droits de protection des données de leurs propres citoyens entravent l’exploitation des données, ils dépendent bien plus que la Chine du terrain de jeu international et du flux international de données.
Addendum (25.9.) concernant le gouvernement fédéral et le Forum économique mondial
J’ai omis de mentionner, dans le contexte des liens entre le Forum économique mondial et le gouvernement fédéral, le «Centre pour les techniques de gouvernance globale» que ce dernier a récemment mis en place à Berlin avec le soutien du ministre de l’Economie des Verts. Nous nous en acquittons ici.17
* Norbert Häring, né en 1963, est un journaliste économique allemand. Depuis 2002, il est rédacteur en sciences économiques au Handelsblatt. Il gère avec succès son blog norberthaering.de et a également publié plusieurs livres, notamment sur le thème de la politique monétaire. |
Source: https://norberthaering.de/news/bmg-who-digitalpakt/, 25 septembre 2024
(Traduction «Point de vue Suisse»)
1 https://dserver.bundestag.de/btd/20/122/2012210.pdf
6 https://www.un.org/techenvoy/sites/www.un.org.techenvoy/files/GDC-submission_Asia-Consultations.pdf
8 https://www.healthai.agency/funders-partners
9 https://www.thehindu.com/news/international/senior-indian-diplomat-amandeep-singh-gill-appointed-un-envoy-on-technology/article65517080.ece
https://www.fondationbotnar.org/international-digital-health-artificial-intelligence-research-collaborative-launch/
10 https://www.un.org/en/sg-digital-cooperation-panel
11 https://norberthaering.de/news/globallistening-project/
12 https://global-listening.org/about/
13 https://norberthaering.de/new/johanna-hanefeld/