UBS – Une garantie par l'Etat encourage la prise de risque et la spéculation

Le gouvernement fédéral prévoit de nouvelles garanties légales

par Rudolf Strahm*

(7 mars 2025) (CH-S) Lors de la session de printemps du Parlement suisse (du 3 au 21 mars 2025), il est prévu de modifier la loi sur les aides publiques pour les grandes banques d'importance systémique. Depuis 2008, il manque une réglementation légale efficace pour protéger les contribuables des conséquences financières énormes d'un effondrement bancaire. Il n'est toujours pas question d'une séparation claire entre les activités spéculatives et commerciales.

Rudolf Strahm, ancien surveillant des prix et ancien conseiller national PS, explique les problèmes de la proposition de loi actuelle dans un article d'opinion. Quelles sont les mesures prévues et comment le mécanisme public de garantie des liquidités pourra-t-il fonctionner à l’aide du «Public Liquidity Backstop» (PLB)?

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Rudolf Strahm.
(Photo rudolfstrahm.ch)

En octobre 2008, l'UBS a dû être sauvée temporairement de la faillite grâce à l'aide de la Banque nationale et de la Confédération, à hauteur d'environ 72 milliards de francs.

En mars 2023, la Confédération a dû permettre du jour au lendemain à l'UBS de reprendre le Credit Suisse via des garanties temporaires de défaillance de crédit en faveur des crédits de liquidité de la Banque nationale d'un montant de 200 et 250 milliards de francs.

Pourquoi les grandes banques ont-elles besoin d’un tel soutien étatique en cas de faillite? C'est un avant-goût du débat sur le «Public Liquidity Backstop» qui aura lieu lors de la Session de printemps du Parlement fédéral.

Les quatre grandes banques UBS, Banque cantonale de Zurich, Postfinance et Raiffeisen (précédemment aussi Crédit Suisse CS) sont considérées comme «d'importance systémique». Elles sont «too big to fail», c'est-à-dire trop grandes pour faire faillite. Elles sont considérées comme d'importance systémique car elles gèrent des dizaines de milliers de comptes clients et commerciaux. L'effondrement d'une telle grande banque peut plonger dans la crise l'ensemble du système financier de l'économie suisse et, au-delà, les systèmes financiers internationaux.

Les fonds propres ne suffisent pas

Outre une gestion bancaire solide, la meilleure protection contre les crises serait de disposer d'une part suffisamment importante de fonds propres à risque, c'est-à-dire de capital-actions, de réserves propres à la banque et, sous certaines conditions, d'obligations convertibles qui peuvent être converties en capital-actions en cas d'urgence.

Les plus grandes banques ont une dotation en fonds propres trop faible: les grandes banques Credit Suisse et UBS ne disposaient et ne disposent encore que d'environ 4 à 5% du total de leur bilan en fonds propres (non pondérés). En d'autres termes, elles prêtent environ 95 francs sur 100 francs de fonds d'investissement. En cas de pertes importantes ou de retraits massifs de capitaux, cette marge et les fonds propres limités ne suffiront plus à amortir les chocs et il y aura un risque de crise de liquidités, comme nous l'avons constaté en 2008 et plus encore en 2023.

Les banques cantonales et Raiffeisen sont mieux capitalisées, avec un ratio de fonds propres de 7 à 9%. En comparaison, les entreprises commerciales et industrielles disposent de 30, 50% ou davantage de fonds propres par rapport à leur total du bilan. C'est pourquoi les grandes banques dont la couverture en fonds propres est si faible sont les plus menacées par un krach et devraient être sauvées en cas d'urgence. La banque géante UBS, dont le total du bilan est aujourd'hui deux fois plus élevé que le produit intérieur brut de la Suisse, s'oppose actuellement avec force et agressivité à l'augmentation des fonds propres envisagée par le Conseil fédéral.

Que se passe-t-il en cas de crash d'une grande banque? Méthodes de sauvetage d'une banque

  1. Une autre banque plus grande rachète la banque en crise.
    Cette possibilité est exclue aujourd'hui en cas de crash de la grande banque UBS, car depuis le rachat de CS, elle est de loin la plus grande banque de Suisse.
  2. La grande banque en difficulté est «liquidée».
    Cela signifie que les parties internationales et les parties «inutiles» de la banque en Suisse sont scindées et vendues ou mises en faillite. Parallèlement, les fonctions bancaires importantes et essentielles au système sont séparées et sauvées (par l'Etat) en Suisse. Ce scénario avec des «points de rupture» imaginés par des universitaires, notamment par le professeur Aymo Brunetti, était prévu dans la législation «too big to fail».
    •    Cette intention de liquider les filiales bancaires étrangères s'est avérée irréalisable, car les places financières étrangères et leurs gouvernements (Etats-Unis, Royaume-Uni, Union européenne, Singapour) ne l'ont pas tolérée par crainte d'un embrasement généralisé du système financier mondial. C'était une sorte de «solution des géraniums» helvétique. «Are you crazy?» C'est ainsi que la ministre américaine des Finances Janet Yellen se serait adressée en mars 2023 à la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter pour évoquer cette variante.
    •    La solution Brunetti était bien pensée, mais s'est avérée inapplicable et est probablement encore moins réaliste à l'avenir.
  3. En cas de faillite bancaire, l'Etat prend temporairement le contrôle de cette grande banque.
    La Confédération bloque immédiatement tous les retraits d'argent et la revend après l'assainissement (Temporary Public Ownership TPO).
    •    Cette variante est certes mal vue sur le plan de la politique réglementaire, mais c'est probablement le scénario «faute-de-mieux» le plus probable en Suisse à l'avenir.
  4. L'Etat finance préventivement la banque en difficulté en lui apportant des liquidités.
    La Banque nationale et le gouvernement fédéral prennent en charge une garantie de défaillance pour les prêts de la Banque nationale (Public Liquidity Backstop PLB).
    •    C'est de cette variante dont il est question ici. Elle doit maintenant être inscrite dans la loi.

Une garantie par l'Etat encourage la prise de risque et la spéculation

Ce Public Liquidity Backstop (PLB), qui est une garantie par l'Etat contre le risque de défaut de crédit en faveur des crédits de liquidité de la Banque nationale, est en fin de compte financé par le Trésor fédéral. Il agit comme une assurance préalable. Cette garantie publique visible est recherchée par les banques d'importance systémique, car elle leur apporte les avantages suivants:

  1. Le PLB, en tant que mécanisme public de garantie des liquidités de la Banque nationale à la banque en difficulté, sert à rétablir la confiance des investisseurs envers la banque.
  2. La garantie par l'Etat permet à la banque bénéficiaire de lever des capitaux à des taux d'intérêt plus bas, donc de bénéficier de coûts de refinancement plus faibles. (Ce qui agace les autres banques en raison de la distorsion de concurrence.)
  3. Les garanties étatiques permettent à la banque de prendre des risques plus importants et de se lancer dans des opérations spéculatives plus risquées, car la direction de la banque compte sur cette garantie de facto de l'Etat. On parle dans ce contexte d'un «effet d'aléa moral».

En réalité, des fonds propres plus importants (plus de capital-actions et plus de réserves) pourraient également avoir un effet de réduction des risques. Mais le lobby des grandes banques affirme envers les médias que cela est coûteux et leur porte préjudice sur le plan de la concurrence internationale, cependant, sans pouvoir le prouver.

Le mécanisme public de garantie des liquidités PLB agit comme une assurance préalable en cas de crise. C'est pourquoi une prime de risque annuelle est exigée des quatre banques d'importance systémique, comme une sorte de «prime d'assurance». Au départ, le Conseil fédéral, se montrant indulgent, ne voulait pas d'une telle rémunération, mais elle a été demandée par de larges cercles lors de la consultation.

Le débat sur le projet du mécanisme public de garantie des liquidités PLB portera donc sur les questions suivantes: quel montant annuel de prime de risque les banques d'importance systémique doivent-elles verser à l'Etat pour la garantie PLB? Et à quelles conditions supplémentaires le mécanisme public de garantie des liquidités est-il accordé?

Quel sera le montant de la prime d'assurance?

  • Le Conseil fédéral est terriblement indulgent et ne souhaite facturer qu'une prime forfaitaire de risque de 70 à 210 millions de francs par an pour les quatre banques d'importance systémique. Cela ne représente que 0,005 à 0,015% du capital à risque ou seulement 0,6 à 1,8% des bénéfices cumulés du groupe.
  • Corinne Zellweger-Gutknecht, professeure de droit financier à l'Université de Bâle, a qualifié ce cadeau de «goodie» bon marché lors d'un symposium sur la stabilité des marchés financiers, avec des avantages pour la banque «assurée».
  • Une équipe d'économistes de l'Université de Berne, avec le professeur Dirk Niepelt (ancien directeur du Centre de recherche de la Banque nationale), a calculé que l'UBS est de facto «subventionnée» par l'Etat à hauteur d'au moins 2,6 milliards d'euros par an. C'est dix fois plus que le forfait prévu que la banque devrait verser à l'Etat.
  • Le calcul des risques et la détermination des coûts pour l'Etat et des avantages pour la banque bénéficiaire par le biais du PLB et d'autres garanties étatiques de facto reposent dans tous les cas sur une question d'appréciation politique.

Les banques ne veulent pas de «corset»

Un autre débat parlementaire portera sur les conditions-cadres et les conditions qu'une banque d'importance systémique en difficulté ou devant être sauvée d'un crash doit remplir. La Commission d'enquête parlementaire (CEP) a élaboré de nombreuses propositions à ce sujet. La grande banque souhaite naturellement un minimum de «corset» et de «Swiss Finish» (ce qui est un gros mot dans le monde bancaire).

Voici les principales conditions du projet PLB du Conseil fédéral:

Pour terminer, quatre questions politiquement controversées

1) Décider du PLB cette année ou plus tard?

Le conseiller aux Etats UDC Hannes Germann a demandé à la Commission de l'économie et des redevances (CER-E) de ne pas décider du projet PLB en 2025, mais plus tard, en lien avec les autres exigences réglementaires de la CEP et du Conseil fédéral. Il a notamment reçu le soutien de la conseillère aux Etats socialiste Eva Herzog. Le PLB est très convoité par les banques d'importance systémique (même si elles le nient publiquement), car elle leur procure des avantages concurrentiels. Le PLB devrait donc servir de garantie pour d'autres exigences contestées par les banques, telles que l'augmentation des fonds propres, les pénalités, les sanctions et la responsabilité des cadres bancaires. Une fois que le PLB souhaité par les banques sera mis en place, le lobby des grandes banques jouera la montre et s'opposera sans relâche aux autres règles de surveillance plus strictes. Mais la prévention passe avant le sauvetage. C'est pourquoi les mesures réglementaires préventives, telles que celles envisagées par la CEP et le Conseil fédéral, sont plus importantes.

2) Peut-on/doit-on renoncer au PLB?

Depuis 2016, le «Comité de Bâle sur le contrôle bancaire» réclame un PLB institutionnalisé pour stabiliser les marchés financiers. Il est désormais en vigueur sur toutes les grandes places financières internationales. La Suisse, qui compte de nombreuses banques internationales, ne peut pas y échapper. Le Conseil fédéral a trop attendu et n'a adopté un message que six mois après le krach du Crédit Suisse. La question de savoir qui, du président de la BNS Thomas Jordan ou du conseiller fédéral Ueli Maurer, était le plus responsable de ces retards a fait l'objet de discussions. Auparavant, la FINMA avait déjà demandé à la BNS d’installer le PLB.

3) Qui doit définir les garanties à déposer par la banque?

En cas de crise, la Banque nationale décide du calendrier et du montant de l'aide en liquidités nécessaire. C'est incontestable. Mais l'estimation des garanties à déposer concerne également la Confédération: en effet, celle-ci ne prend le PLB à la charge de la caisse fédérale que dans la mesure où la Banque nationale ne reçoit pas de garanties suffisantes de la part de la banque pour son aide en matière de liquidités. La Confédération doit-elle ou peut-elle avoir son mot à dire lors de la définition des garanties? Après tout, elle est également concernée.

4) A combien doit s'élever le forfait annuel de risque du PLB pour les quatre banques ?

Comme indiqué ci-dessus, le montant de la «prime d'assurance» du PLB est une décision politique discrétionnaire. Il est certain que la prime forfaitaire proposée par le Conseil fédéral est nettement trop basse.

Conditions de l'assurance-crédit PLB

  1. Le montant et la durée de la garantie de crédit PLB avec la garantie fédérale sont en principe illimités. Elle peut s'élever à des centaines de milliards de francs. (A titre de comparaison: le budget de dépenses de la Confédération est d'environ 90 milliards de francs.)
  2. La garantie PLB de l'Etat fédéral s'applique aux crédits de liquidité de la Banque nationale pour lesquels la banque en difficulté ne fournit pas de «garanties suffisantes» (titres de premier ordre, obligations, prêts hypothécaires). La garantie étatique PLB couvre les crédits qui, selon l'appréciation de la Banque nationale, ne sont pas couverts par des garanties.
  3. Les aides en liquidités de la Banque nationale et les prestations de garantie PLB de la Confédération bénéficient du privilège en cas de faillite, c'est-à-dire qu'en cas de liquidation de la banque, elles sont les premières à être indemnisées.
  4. Si un PLB de la Confédération est nécessaire ou s'annonce, la banque en difficulté ne peut verser de dividendes ou de primes, ni procéder à des rachats d'actions.
  5. Dans un tel cas, l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) peut intervenir dans l'organisation de la banque, par exemple en ordonnant le licenciement de certains dirigeants. Le déclenchement d'une garantie contre les pertes sur crédit PLB de la Confédération peut se faire immédiatement par le biais d'un droit d'urgence. Mais en cas d'autorisation légale (ultérieure) par le Parlement, elle est soumise au frein aux dépenses. (Toutefois, dans les cas habituels, cette autorisation ultérieure sera sans effet.)
    (Liste non exhaustive)

Conclusion: une évaluation préliminaire du projet PLB

1) Le projet PLB ouvre un nouveau chapitre dans l'histoire économique des garanties étatiques envers le secteur financier privé.

Alors que la Confédération et le monde bourgeois s'opposent aujourd'hui constamment à la «politique industrielle» (subventions temporaires aux industries), ils acceptent maintenant, avec l'inscription dans la loi du PLB, une garantie d'Etat pour les banques beaucoup plus élevée et quasi automatisée. C'est une nouvelle qualité de politique économique!

2) Le Parlement ne devrait pas adopter définitivement le projet de loi sur les garanties de l'Etat avant que les principales propositions de réglementation de la CEP visant à prévenir les crises bancaires ne soient finalisées.

Le PLB ne devrait entrer en vigueur que lorsque le Conseil fédéral aura fait passer l'ordonnance sur les fonds propres qu'il envisage, c’est-à-dire: lorsque toutes les filiales bancaires étrangères d'UBS auront également été dotées de la valeur cible de fonds propres selon la nouvelle norme de Bâle (aujourd'hui, avec le soi-disant «tampon», la FINMA n'exige que 60% des fonds propres requis pour les filiales d'UBS).

3) Actuellement, Sergio Ermotti, le PDG d'UBS, mène une campagne de pression publique contre l'intention du Conseil fédéral de mettre en œuvre cette nouvelle maxime annoncée en matière de fonds propres, qui nécessiterait 15 à 25 milliards de francs suisses de fonds propres supplémentaires pour UBS.

Selon la déclaration d'intention faite lors de la présentation du bilan, UBS veut plutôt d'abord injecter 3 milliards supplémentaires aux actionnaires par le biais de rachats d'actions et augmenter le rendement du capital de 15 à 18% au cours des deux prochaines années. L'UBS menace en outre à nouveau d'examiner des «sites alternatifs». Ce serait une déclaration de faillite du Conseil fédéral, ou plutôt du Parlement, s'ils cédaient face au coup de force d'Ermotti.

4) Le forfait annuel servant de «prime d'assurance» pour le PLB doit être augmenté pour atteindre un niveau actuariel réaliste, comme indiqué ci-dessus.

5) La crise de liquidité du CS, qui s'est manifestée très rapidement, a été déclenchée par la ruée vers les banques numériques via des demandes de retrait par Internet – une première dans l'histoire de la finance.

Pourquoi personne ne parle de l'obligation pour les grandes banques de proposer des formes d'investissement avec un retrait de capital limité dans le temps (modèle des dépôts à terme)? Le facteur temps pour les retraits réduirait le risque de crédits de liquidité de l'Etat.

* Rudolf Strahm a été conseiller national PS et surveillant des prix de la Confédération. Il a été secrétaire central du PS pendant sept ans, a été président de l'Association bernoise des locataires pendant quatre ans et président de l'Association suisse des locataires (Suisse alémanique) pendant 13 ans.

Source: https://www.infosperber.ch/politik/ubs-staatsgarantie-foerdert-risikobereitschaft-und-spekulation/, 25 février 2025

(Traduction «Point de vue Suisse»)

Première publication: https://direkt-magazin.ch/meinung/kkrft/rudolf-strahm-diese-garantieleistungen-des-staates-erlauben-der-bank-die-uebernahme-groesserer-risiken-und-gewagterer-spekulationsgeschaefte/, 13 février 2025

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