L'Allemagne, un champion sur le déclin
Du champion du monde de l'exportation aux halles chauffées et aux pannes de courant: la désindustrialisation progresse. Qui mettra un terme à cette folie?
par Marc Friedrich*
(17 novembre 2022) «L'Allemagne doit mourir!» C'est le titre d'une chanson populaire du groupe punk hambourgeois «Slime», sur laquelle on danse volontiers le pogo. Un pays peut-il donc mourir? Oui, d'abord son économie et donc, à plus ou moins long terme, le pays tout entier, car l'économie est le battement de cœur d'un pays. Et quand le cœur meurt, tout le reste s'arrête aussi.
Le patient «Allemagne» a été admis aux urgences avec quelques symptômes qui se sont récemment aggravés rapidement, et le pays est désormais en soins intensifs.
Pour l'instant, il n'y a pas encore d’arrêt cardiaque, mais plusieurs signes avant-coureurs indiquent qu'une crise cardiaque aiguë et grave est imminente. Nous constatons une fibrillation auriculaire sous la forme d'une augmentation rapide des prix de l'énergie et d'une insécurité massive des citoyens, qui s'exprime par une réticence à acheter.
Des hommes et femmes politiques manifestement dépassés et des mises en garde sans détour de la part de représentants de la branche inquiets font trébucher le cœur – et quelques petits infarctus se sont déjà produits sous forme de chômage partiel et de faillites de premières entreprises. Même un profane le dirait: le patient n'est pas en bonne santé, le danger est imminent.
La situation devient de plus en plus dramatique.1 Il faut se réveiller et se rendre compte que cela n’est pas un simple mauvais rêve. Si quelqu'un vous avait dit il y a quelques années que nous parlerions en Allemagne de crise énergétique, de coupures de courant, de halles chauffées, de rayons vides et de livraisons d'armes exigées par les Verts, vous l'auriez, à juste titre, traité de fou ou de complotiste. Mais aujourd'hui, nous assistons précisément à ce changement de paradigme à une vitesse stupéfiante, et au déclin du pays qui l'accompagne.
De plus en plus d'entreprises se plaignent des prix élevés de l'énergie, les associations et les représentants du secteur mettent en garde contre une vague d'insolvabilité ainsi qu'une désindustrialisation de l'Allemagne.2
L'augmentation considérable des prix de l'énergie et de l'électricité ne met pas seulement les citoyens sous pression, mais aussi l'économie et l'industrie allemandes. Les secteurs à forte consommation d'énergie tels que la chimie, le verre, le papier ou la métallurgie sont au pied du mur. De plus en plus, les entreprises réduisent leur production afin de diminuer leurs coûts. Les employés sont mis au chômage partiel et les investissements sont stoppés.
En parlant d'investissements: les entreprises étrangères réfléchiront à deux fois avant d'investir en Allemagne, un pays où la fiscalité est élevée, où les prix de l'énergie atteignent des records et où la bureaucratie est lourde. De même, 10% des entreprises envisagent déjà de délocaliser leur production à l'étranger afin de maîtriser à nouveau les coûts énergétiques et de rester ainsi compétitives sur le marché mondial. D'autres ont abandonné et fermé complètement leurs portes, ou ont dû déposer le bilan. D'autres entreprises suivront malheureusement si la situation ne s'améliore pas rapidement. L'inévitable récession3 aggravera encore la situation pour de nombreuses entreprises et de nombreux citoyens.
Le déclin spectaculaire de l'Allemagne entrera dans les livres d'histoire tout comme son ascension grâce au miracle économique: de centre de puissance économique, elle est réduite en quelques années à des «halles chauffées».
La hausse colossale des prix à la production montre à quel point la situation est précaire. Ceux-ci ont augmenté de 45,8% en août pour atteindre le niveau le plus élevé depuis la collecte des données – en 1955. Rien que par rapport au mois précédent, ils ont connu une hausse sportive de 7,9%. L'énergie a été le principal facteur de hausse des coûts: le charbon, le pétrole, le gaz et l'électricité ont plus que doublé sur un an. La hausse de l'électricité est particulièrement spectaculaire: +174,9%. Il est important de savoir que les prix à la production signalent d'autres désagréments, car ils sont depuis toujours considérés comme des précurseurs de l'inflation.
Les entreprises doivent répercuter la hausse des prix sur le consommateur final, sinon elles risquent de faire faillite. Si elles parviennent à les répercuter, cela signifie également une augmentation supplémentaire des prix – donc une stimulation de l'inflation et donc une charge supplémentaire pour les citoyens.
Cela se traduit par une réticence des consommateurs à acheter, comme le montre le graphique suivant. L'indice GfK du climat de consommation a enregistré un record négatif.
Près de la moitié (47,5%) des entreprises allemandes vont augmenter leurs prix. Dans l'industrie alimentaire, presque toutes les entreprises répercuteront les coûts sur les consommateurs.
Les sources de risque d'infarctus de l'économie sont nées de l'accumulation de mauvaises décisions politiques prises ces dernières années en raison de l'hubris, de la suffisance et d'idéologies dogmatiques aveuglantes: une transition énergétique complètement ratée et précipitée; et l'idéologie au lieu du pragmatisme.
Aujourd'hui, l'Allemagne devient de plus en plus un pays à part et à contre-courant. Non seulement nous sommes le seul pays d'Europe à imposer le port du masque et les mesures COVID, mais nous sommes aussi le seul pays à fermer des centrales nucléaires sûres et en état de marche, alors que tous les pays autour de nous veulent mettre en marche les leurs et même en construire de nouvelles. Le fait que l'UE ait maintenant classé le gaz et le nucléaire dans la catégorie «verte» avec la taxinomie est une nouvelle gifle à la politique allemande et, de facto, une déclaration de faillite totale pour la politique énergétique allemande de ces dernières années.
L'Ukraine gagnera ou perdra peut-être la guerre – l'Allemagne l'a en tout cas déjà perdue. Et quant aux sanctions, elles engendrent des répercussions chez nous malheureusement. Ce que tout le monde ne sait pas, c'est que la majorité de la communauté mondiale ne participe pas aux sanctions et continue à commercer allègrement avec la Russie. Cela prend alors des formes si grotesques que nous achetons du gaz russe à prix d'or via la Chine ou l'Inde. Le fait est que les sanctions ont échoué et qu'elles nous touchent le plus durement, alors que Poutine n'a jamais gagné autant d'argent avec ses ventes de gaz et de pétrole. Les revenus qu'il tire de la vente de matières premières dépassent de loin les coûts de la guerre. Tout cela va durablement menacer la productivité et la compétitivité de l'Allemagne. Tout comme la sécurité de l'approvisionnement, ce qui met en danger notre prospérité ainsi que la paix sociale.
Les crises et les problèmes qui en résultent sont ensuite avec grand plaisir «résolus» par les pyromanes de l'argent des contribuables, afin de se faire féliciter en tant que pompiers. Absurde, mais malheureusement vrai. La redistribution et le socialisme sont en vogue. Le citoyen se transforme de plus en plus en un mineur dépendant accroché à la mamelle de la politique, qui réfléchit à deux fois avant d'exprimer son mécontentement et de mordre la main qui le nourrit. C'est pour cette raison que la politique se réjouit des crises et sait les exploiter habilement. Rappelons que si l'Etat vous «fait cadeau» de 300 euros pour financer l'énergie, il doit aller chercher cet argent ailleurs – par le biais d'impôts ou de nouvelles dettes. Peu importe comment, ce sont nous, les citoyens, qui payons.
L'exemple type du ralentissement est l'ancienne locomotive de l'économie allemande, l'industrie automobile. En 2021 déjà, la production a baissé de 11,7%, et au premier semestre 2022, elle a encore chuté de 2,9% par rapport à l'année précédente. On ne sait pas si nos entreprises automobiles réussiront à mener à bien le processus de transformation et à survivre. Tout comme la question de savoir si l'avenir de la mobilité sera réellement électrique et d'où proviendra l'électricité nécessaire (je ne parle même pas des matières premières)? La vérité, c'est que ni le soleil ni le vent ne sont actuellement capables de fournir une charge de base.
Ce n’est pas que dans l'industrie automobile que le tableau est sombre. L'industrie et l'artisanat tirent désormais la sonnette d'alarme. «Nombreux sont ceux qui ont de l'eau jusqu'au cou», déclare Hans Peter Wollseifer, président de l'Union centrale de l'artisanat allemand (ZDH).
Selon lui, la politique doit intervenir rapidement avec des aides publiques, sinon l'artisanat risque de connaître une vague d'insolvabilité. Une enquête menée par l'Association fédérale des petites et moyennes entreprises (BVMW) auprès de 835 entreprises allemandes interrogées montre à quel point la situation est dramatique. Selon ce sondage, plus de 40% des PME allemandes voient leur existence menacée.
Si l'Allemagne continue sur sa lancée et se désindustrialise, elle perdra massivement en productivité et en compétitivité, ce qui coûtera des emplois, de la sécurité sociale et de la prospérité. Le fournisseur d'énergie nationalisé Uniper est un bon symbole de la crise actuelle. Il avait misé à 50% sur le gaz russe, ce qui lui a été fatal – le groupe était au bord de la faillite. L'Allemagne partage le même sort: nous avons également misé à 50% sur le gaz russe. La faillite est-elle proche?
La politique a encore le temps d'éviter la mort subite. Pour cela, il faudrait plus de réalisme et moins d'idéologie et de dogmatisme. Cela implique également d'admettre qu'à l'heure actuelle, nous ne pouvons renoncer ni à l'énergie nucléaire propre ni aux énergies fossiles.
Il est malheureusement peu probable que les responsables se rendent à l'évidence. Les points suivants seraient importants pour rendre l'Allemagne autosuffisante et garantir une sécurité d'approvisionnement pour le site économique:
mettre fin à la guerre par la diplomatie et non par la livraison d'armes; laisser les centrales nucléaires existantes en service et réactiver celles qui ont été arrêtées; examiner la construction de nouvelles centrales nucléaires; examiner l'extraction et la fracturation du gaz en Allemagne. Relancer l'exploitation du charbon; investir de l'argent dans la recherche (stockage, hydrogène, etc.) développer les énergies renouvelables; développer massivement les stocks stratégiques; mettre en place des partenariats énergétiques fiables; mettre fin aux sanctions.
* Marc Friedrich est l'auteur de plusieurs best-sellers et gère la société Friedrich Vermögenssicherung GmbH. |
Source: https://www.friedrich-partner.de/blog-post/ein-land-im-niedergang-deindustrialisierung-schreitet-voran-vom-exportweltmeister-zu-warmehallen-und-stromausfallen, 6 octobre 2022
(Reproduction avec l'aimable autorisation de l'auteur)
(Traduction «Point de vue Suisse»)
1 https://www.youtube.com/watch?v=qFBNdHZCyz8
3 https://www.youtube.com/watch?v=tZyzwClmf2Q
4 https://www.bundesbank.de/de (Graphic:
5 https://www.gfk.com/de/home (Graphic: